lundi 9 août 2010

Bridget Jones à la campagne

Le nouveau film de Stephen Frears détonne par rapport à ce à quoi il nous avait habitués, prouvant les indéniable qualités d’un réalisateur au talent polymorphe. Après «Dirty Pretty Things», avec l’insignifiante Audrey Tautou, qui nous plongeait dans l’enfer des immigrés clandestins à Londres, ou « The Queen » qui revenait sur le moment douloureux de l’après-Diana, nous voici avec « Tamara Drewe » plongés au cœur de la campagne anglaise, dans une résidence pour écrivain partagée entre les auteurEs de porno lesbien et ceux qui pondent des polars à cadence quasi industrielle. Ici, on mange bio, on parle littérature autour d’un bon vin à table le soir, et la maîtresse de maison vient vous distraire à quatre heures de l’après-midi de votre chef-d’œuvre en préparation pour vous offrir des scones. Cette tranquillité bucolique va être perturbée par le come-back de Tamara Drewe, fille du cru, ancien vilain petit canard qui depuis qu’elle s’est fait raboter le nez et n’hésite plus à se promener en micro-short moulant dans le pré, attire tous les regards. Celui du littérateur arrogant qui dirige la maison d’écrivain en question, sorte de BHL campagnard que tout le village déteste, mais aussi celui de son amant de jeunesse, solide gaillard anglais et beau gosse de service, et même celui du musicos d’un groupe au nom improbable, si terriblement anglais avec ses faux airs de Pete Doherty.

L’irruption de la jeune Londonienne, ramenée dans son village natal par le décès de sa mère et bien décidée à écrire un best-seller avant trente ans, n’est pas sans susciter également la jalousie des filles. Comme dans tous les bleds paumés, Eyedow, le village en question, possède sa cohorte de petites pestes amorales qui s’ennuient à mourir et ne rêvent que de foutre le camp. A défaut d’être assez grande pour le faire, elles passent le temps en menant des intrigues contre les uns et les autres. Leur prochaine victime n’est autre que Tamara, qu’elles ont cruellement rebaptisée « Plastique », non pas en raison de ses proportions équilibrées mais de sa rhinoplastie. Leur intrusion dans la vie privée de la jeune femme va provoquer moult rebondissements en chaîne et quiproquos ma foi assez amusants.

Le tout donne une comédie bien agencée, au rythme haletant, qui vous tient en haleine pratiquement jusqu’à la dernière minute. Pourtant, en sortant, même s’il a passé un bon moment, le spectateur est quelque peu désorienté : fallait-il vraiment faire ce film qui ressemble finalement à tellement d’autres. N’attendait-on pas mieux de Stephen Frears, réalisateur percutant ?

Le dénouement, si rocambolesque fût-il, reste prévisible. On sait dès le départ que la douce londonienne va finir avec le solide gaillard qui l’a dépucelée dans son adolescence, plutôt que de perdre son temps avec un écrivain arrogant qui pourrait être son père ou un batteur égocentrique qui met du mascara. On sait pratiquement dès le début que le Paul-Loup Sultizer de service, qui écrit des romans de gare pour femmes au foyer désespérées, mais trompe sa femme dès les dix premières minutes du film, sera puni de son infidélité par une mort aussi atroce qu’absurde. Son épouse, fidèle compagne de toute une vie qui lui a tout pardonné, pourra ainsi convoler en justes noces avec son amoureux secret, un Américain transi, peinant à écrire son essai sur Thomas Hardy.

Au-delà de l’intrigue convenue, le film pêche aussi par la médiocrité des bons mots. Les dialogues sont loin d’être vraiment drôles, à l’exception de quelques bonnes répliques, comme quand un membre de la maisonnée se plaint à la jeune Tamara : « La vie est tellement facile pour les gens beaux. » Ce à quoi celle-ci répond aussi sec : « Avant mon opération, tout le monde prenait au sérieux. Peut-être m’a-t-on enlevé un bout de cerveau en me retirant un bout de cartilage. » Anecdote drôle contenue dans la bande-annonce, comme presque toutes les autres, d’où l’inutilité d’aller voir le film si on a vraiment envie de se marrer. Pour le reste, les blagues éculés peinent à nous arracher un sourire. Où est l’humour anglais de «Quatre mariages et un enterrement » et de « Bridget Jones » ? La même comédie, à quelques exceptions près, différence culturelle oblige, aurait pu être tournée en France. A la décharge du film, on retiendra l’avant-dernière scène délicieusement cruelle, quand Drewe « perd » son nez une nouvelle fois. A noter quand même, la superbe prestation de Gemma Arterton, l’actrice principaledont c’est décidément l’année faste puisqu’elle brille également à l’affiche de « La disparition d’Alice Creed », et qui entame par là-même une carrière prometteuse.
Julien Vallet.