samedi 13 novembre 2010

Dur, dur d’être Duris


Inspiré du roman éponyme de Douglas Kennedy, « L’homme qui voulait vivre sa vie » raconte l’histoire d’un avocat trentenaire, photographe frustré, qui prend la place de l’amant de sa femme après l’avoir accidentellement tué. Il part alors pour Kotor, en Serbie, où il pourra enfin s’adonner à sa passion. Deux phrases suffisent donc à résumer une histoire dont Alfred Hitchcock aurait fait un thriller à multiples rebondissements. Et pourtant, le film d’Eric Lartigau est la quintessence de la mauvaise adaptation de roman. L’idée de départ, certes bonne, s’essouffle assez vite : était-il vraiment nécessaire de consacrer deux heures et demie à l’histoire finalement toute banale d’un homme qui se fait passer pour un autre et dont la vie, on le comprend à la fin, ne sera qu’une longue fuite en avant ? La réalisation assez plate contribue aussi au sentiment de morosité qui nous envahit à la vue de ce navet de haut-vol, ma foi assez gentillet. Un temps sauvé par les dialogues, qui nous font croire l’espace d’un instant qu’on va sombrer dans une énième comédie dramatique parisienne, tout cela disparaît dès que l’action change de cadre et que c’est désormais la poésie des images et la bande-son qui se chargent de donner un peu de relief à l’histoire. 

La production mise évidemment sur la performance de l’acteur principal. Mais le Romain Duris de « l’Auberge Espagnole » semble avoir disparu, du moins perdu l’attrait de la nouveauté qu’il représentait à l’époque. Duris en jeune cadre dynamique papa de trente ans, on y croit pas une minute. Il a l’air tout de suite plus à l’aise dans un rôle qui lui colle à la peau, celui de l’artiste bohème légèrement névrosé, toujours en partance pour un endroit lointain. Autant dire que le renouveau est loin d’être la sauce favorite de notre ami Duris ! Marina Foïs, après avoir débuté dans un registre comique où elle excellait et qui l’a faite connaître avec les Robins des Bois, s’est depuis qu’elle est passée aux comédies dramatiques, enfermée dans les rôles compliquées d’épouses rigides et frustrées. C’était déjà le cas dans « Le code a changé » de Danièle Thompson. Un rôle de plus comme celui-là et elle ne fera plus que cela le reste de sa vie. Catherine Deneuve, quant à elle, reste fidèle à elle-même dans le rôle de la grande-bourgeoise un peu désespérée, toujours noble et digne alors que la mort guette, peut-être une parabole de sa vie qui sait ? A noter tout de même, l’apparition de Niels Arestrup, vu dans « Un prophète » et qui se complaît là-aussi dans le stéréotype, celui du vieillard bourru et du génie alcoolique. 

André Gide disait que les bons sentiments font la mauvaise littérature. Il faut croire qu’il en va de même pour le mauvais cinéma. Pour ma part, le film m’aura au moins donné envie de lire le livre dont il est inspiré, l’original valant toujours mieux qu’une pâle copie. Comme le scénariste, je le sais, a pris quelques libertés par rapport à l’histoire originale, le roman promet au moins d’offrir une fin différente et de contenter ma curiosité. Et comme je fais confiance à la prose nerveuse et au style fluide de Kennedy, je sais qu’au moins, cette fois-ci, je ne m’écroulerai pas d’ennui alors que je viens de commencer ma lecture.
Julien Vallet

Les p’tit PQ de Guillaume Canet


Ludo (Jean Dujardin), fêtard invétéré et éternel enfant de trente ans, finit à l’hôpital après avoir été percuté par un camion, encore complètement drogué en revenant de soirée. Sa bande d’amis de toujours, réunissant la fine fleur des meilleurs seconds rôles de toujours du cinéma français (dont Pascale Lardellier, Gilles Lellouche et consorts), décide de ne pas annuler ses vacances sur le Bassin d’Arcachon et de partir quand même, mais avec toujours en toile de fond cette tragédie qui les empêche d’avoir l’esprit tranquille. 

Vous ne rêvez pas, rien que le pitch fait penser à une de ces sagas de l’été qui passe sur TF1 et font le bonheur de nos grands-parents, genre « Dolmen » mais en moins bien. L’idée de départ en elle-même est d’un narcissisme assumé : on a l’impression de voir le film de vacances de la grande famille du cinéma français. A croire qu’à court d’idées de scénario, ils ont juste décidé de filmer leurs vacances entre potes. Le plus insupportable, c’est probablement l’interminable scène finale de pleurs en tous sens, d’embrassades émues, auxquels on ne croit pas une seconde tant cela semble artificiel et même presque vulgaire à force d’être filmé sous tous les angles. 

Pas difficile aussi de voir que c’est un homme qui a fait le film : les femmes sont cantonnées à des rôles de potiches, épouse dévouée, impuissante face à la maniaquerie de leur mari ou leurs penchants refoulés, réduites à enfiler des dessous coquins qu’elles ne pourront jamais inaugurer. D’où le côté trentenaire-adolescents-attardés qui semble être le credo du film, nous fait sourire deux minutes mais finit par nous agacer, à cause de la morale implicite : « Regardez, nous les riches et les bourgeois parisiens, nous souffrons quand même et nous sommes capables d’avoir des émotions, malgré la facilité de notre vie ». On passe quand même un bon moment au final, mais on sort de là avec une impression étrange, le sentiment d’avoir perdu son temps ou qu’on est parfois trop vieux pour apprécier ce genre de comédie à la sauce française. 

Du coup, tout repose essentiellement sur les acteurs, mais aussi les guest-stars, dont Matthieu Chedid, qui semblent être là pour compenser la faiblesse du scénario et l’absence de dialogues. François Cluzet nous fait un peu le même  effet que Jean Yanne quand il était encore vivant. C’est le genre de petit-bourgeois arrogant et sans-cœur à qui on a difficilement envie d’avoir affaire dans la vie de tous les jours. Benoit Magimel est toujours aussi inexistant mais pour une fois qu’il décide de remiser au placard le costume  de jeune premier, on ne peut lui en tenir rigueur. Jouer les homosexuels refoulés lui donne un peu de relief, presque de noirceur, même si on aurait aimé que l’histoire développe un peu plus de ce côté-là. Marion Cotillard, après "Inception", est perdue. Elle semble s’être complètement enfermée dans le rôle de la bobo hystérique de trente-cinq ans, qui fume des roulées et rêve de grands espaces., un rôle qu'elle incarnait déjà plus ou moins il y a quinze ans dans "Taxi".

Par contre, par pitié, qui a eu l’idée d’engager le sosie de Michel Leeb en la personne de Laurent Laffitte ? Celui-ci apparaît dès la troisième scène sourire aux lèvres alors que la mobylette de Ludo (Jean Dujardin) vient tout juste d’être percuté par un camion. Quel tact ! Et quel jeu d’acteur ! D’autant plus que le personnage est probablement celui à la psychologie la moins développée parmi les principaux, voire même le personnage le plus inutile pour le déroulement de l’histoire. Gilles Lellouche, quant à lui, n’est définitivement pas un acteur, on dirait plus une sorte de videur un peu beauf, fan de poker et de jeux vidéos, qui pose au comédien. Ça tombe bien, c’est précisément ce qu’il incarne dans le film, à croire qu'il y a doublon avec ce qu’il est dans la vie. Quant à Jean Dujardin, l’acteur qui  s'enfonce le plus la caricature de son propre personnage, on se dit en le voyant qu’il est déjà tombé dans le travers qu’il dénonçait auparavant : après trente ans, les acteurs français, masculins en tout cas, deviennent tous interchangeables. 

Finalement, le seul qui sache faire susciter émotion et empathie chez le spectateur, bien qu’il ne soit qu’acteur amateur, c’est encore le fameux Jean-Louis, l’ostréiculteur de Guillaume Canet,. Avec son franc-parler et son cœur tendre, il nous convainc mille fois plus que tous les autres acteurs réunis, malgré des années de cours Florent.

Moralité de l’histoire : rangez vos mouchoirs, cela n’en vaut vraiment pas la peine. « Les Petits Mouchoirs », torchez-vous plutôt avec !

lundi 9 août 2010

Bridget Jones à la campagne

Le nouveau film de Stephen Frears détonne par rapport à ce à quoi il nous avait habitués, prouvant les indéniable qualités d’un réalisateur au talent polymorphe. Après «Dirty Pretty Things», avec l’insignifiante Audrey Tautou, qui nous plongeait dans l’enfer des immigrés clandestins à Londres, ou « The Queen » qui revenait sur le moment douloureux de l’après-Diana, nous voici avec « Tamara Drewe » plongés au cœur de la campagne anglaise, dans une résidence pour écrivain partagée entre les auteurEs de porno lesbien et ceux qui pondent des polars à cadence quasi industrielle. Ici, on mange bio, on parle littérature autour d’un bon vin à table le soir, et la maîtresse de maison vient vous distraire à quatre heures de l’après-midi de votre chef-d’œuvre en préparation pour vous offrir des scones. Cette tranquillité bucolique va être perturbée par le come-back de Tamara Drewe, fille du cru, ancien vilain petit canard qui depuis qu’elle s’est fait raboter le nez et n’hésite plus à se promener en micro-short moulant dans le pré, attire tous les regards. Celui du littérateur arrogant qui dirige la maison d’écrivain en question, sorte de BHL campagnard que tout le village déteste, mais aussi celui de son amant de jeunesse, solide gaillard anglais et beau gosse de service, et même celui du musicos d’un groupe au nom improbable, si terriblement anglais avec ses faux airs de Pete Doherty.

L’irruption de la jeune Londonienne, ramenée dans son village natal par le décès de sa mère et bien décidée à écrire un best-seller avant trente ans, n’est pas sans susciter également la jalousie des filles. Comme dans tous les bleds paumés, Eyedow, le village en question, possède sa cohorte de petites pestes amorales qui s’ennuient à mourir et ne rêvent que de foutre le camp. A défaut d’être assez grande pour le faire, elles passent le temps en menant des intrigues contre les uns et les autres. Leur prochaine victime n’est autre que Tamara, qu’elles ont cruellement rebaptisée « Plastique », non pas en raison de ses proportions équilibrées mais de sa rhinoplastie. Leur intrusion dans la vie privée de la jeune femme va provoquer moult rebondissements en chaîne et quiproquos ma foi assez amusants.

Le tout donne une comédie bien agencée, au rythme haletant, qui vous tient en haleine pratiquement jusqu’à la dernière minute. Pourtant, en sortant, même s’il a passé un bon moment, le spectateur est quelque peu désorienté : fallait-il vraiment faire ce film qui ressemble finalement à tellement d’autres. N’attendait-on pas mieux de Stephen Frears, réalisateur percutant ?

Le dénouement, si rocambolesque fût-il, reste prévisible. On sait dès le départ que la douce londonienne va finir avec le solide gaillard qui l’a dépucelée dans son adolescence, plutôt que de perdre son temps avec un écrivain arrogant qui pourrait être son père ou un batteur égocentrique qui met du mascara. On sait pratiquement dès le début que le Paul-Loup Sultizer de service, qui écrit des romans de gare pour femmes au foyer désespérées, mais trompe sa femme dès les dix premières minutes du film, sera puni de son infidélité par une mort aussi atroce qu’absurde. Son épouse, fidèle compagne de toute une vie qui lui a tout pardonné, pourra ainsi convoler en justes noces avec son amoureux secret, un Américain transi, peinant à écrire son essai sur Thomas Hardy.

Au-delà de l’intrigue convenue, le film pêche aussi par la médiocrité des bons mots. Les dialogues sont loin d’être vraiment drôles, à l’exception de quelques bonnes répliques, comme quand un membre de la maisonnée se plaint à la jeune Tamara : « La vie est tellement facile pour les gens beaux. » Ce à quoi celle-ci répond aussi sec : « Avant mon opération, tout le monde prenait au sérieux. Peut-être m’a-t-on enlevé un bout de cerveau en me retirant un bout de cartilage. » Anecdote drôle contenue dans la bande-annonce, comme presque toutes les autres, d’où l’inutilité d’aller voir le film si on a vraiment envie de se marrer. Pour le reste, les blagues éculés peinent à nous arracher un sourire. Où est l’humour anglais de «Quatre mariages et un enterrement » et de « Bridget Jones » ? La même comédie, à quelques exceptions près, différence culturelle oblige, aurait pu être tournée en France. A la décharge du film, on retiendra l’avant-dernière scène délicieusement cruelle, quand Drewe « perd » son nez une nouvelle fois. A noter quand même, la superbe prestation de Gemma Arterton, l’actrice principaledont c’est décidément l’année faste puisqu’elle brille également à l’affiche de « La disparition d’Alice Creed », et qui entame par là-même une carrière prometteuse.
Julien Vallet.